lundi 7 septembre 2015

Le 7 septembre 1786 Goethe loge à Mittenwald

Goethe dans la campagne par Johann Heinrich Wilhelm Tischbein
Lors de son voyage en Italie de 1786, Goethe part de Munich de bon matin (à 5 heures) pour arriver à Mittenwald vers 7 heures du soir. Il loge au vieux relais de poste, tout à coté de l´église. Voici le récit de ce court séjour à Mittenwald, tel que l´écrivain le décrit dans les premières pages de son Voyage en Italie, ici dans la traduction de Jacques Porchat (Hachette et Cie, 1862)

[...]Je vais aller droit à Inspruck. Que ne laissé-je pas à droite et à gauche, pour mettre à exécution un dessein qui peut-étre a trop vieilli dans mon cœur !


Mittenwald, 7 septembre 1786, au soir.

Il semble que mon ange gardien dise amen à mon credo, et je le remercie de m’avoir amené ici par un si beau jour. Le dernier postillon s’est écrié joyeusement que c’était le premier de tout l’été. Ma superstition se flatte en secret que cela continuera. Que mes amis veuillent m’excuser, si je parle encore du vent et des nuages !

Comme je partais de Munich à cinq heures, le ciel s’était éclairci. Les nuages étaient fixés en grandes masses sur les montagnes du Tyrol. Les traînées des régions inférieures étaient aussi immobiles. La route suit les hauteurs, d’où l’on voit sous ses pieds couler l’Isar ; on franchit les collines de cailloux amassés par les eaux. C’est là que nous pouvons comprendre le travail des courants de l’antique mer. J’ai retrouvé dans plusieurs galets de granit les frères et les parents des pièces de mon cabinet que je dois à Knebel.

Les brouillards de la rivière et des prairies luttèrent quelque temps, mais enfin ils furent dissipés à leur tour. Entre les collines de gravier, qui ont plusieurs lieues d’étendue, on voit les terres les plus belles et les plus fertiles, comme dans la vallée du Regen. Mais je reviens à l’Isar, et je vois une tranchée et une pente de collines graveleuses, qui peuvent avoir cent cinquante pieds de haut. Je suis arrivé Wolfrathshausen, et j’ai atteint le quarante-huitième degré. Le soleil était brûlant : personne ne se fiait au beau temps. On se lamente sur la mauvaise année ; on gémit de ce que le grand Dieu ne veut pas y remédier.

Un nouveau monde s’ouvrait pour moi ; j’approchais des montagnes, qui se développaient insensiblement. Benedictbeuern est dans une situation admirable, et il étonne dès le premier coup d’œil. Dans une plaine fertile, un édifice blanc, long et large, et, derrière, un large et haut rocher. On monte ensuite à Korchelsée et, plus haut encore dans la montagne, à Walchensée. Là je saluai les premières cimes blanches, et, comme j’exprimais mon étonnement d’en être déjà si près, on me dit qu’il avait fait hier des éclairs et des tonnerres dans la contrée, et qu’il avait neigé sur les montagnes. On espérait que ces météores amèneraient le beau temps, et que cette première neige changerait l’état de l’atmosphère. Les roches qui m’entourent sont toutes du calcaire le plus ancien, qui ne renferme encore aucune pétrification. Ces montagnes calcaires s’étendent en chaines immenses et continues, depuis la Dalmatie jusqu’au Saint-Gothard et au delà. Haquet a parcouru une grande partie de la chaîne. Elles s’appuient aux montagnes primitives de quartz et d’argile.

De Walchensée, j’arrivai ici à quatre heures et demie. À une lieue d’Inspruck, il m’est arrivé une jolie aventure. Un joueur de harpe, avec sa fille, enfant de onze ans, cheminait devant moi et me pria de prendre l’enfant dans ma voiture. Je la fis asseoir à côté de moi. Elle plaça soigneusement à ses pieds une grande botte neuve. C’était une gentille enfant, qui avait de la culture, et qui s’était déjà passablement formée dans le monde. Elle avait fait à pied avec sa mère le pèlerinage de Notre-Dame d’Einsiedlen, et elles se proposaient d’entreprendre le voyage, plus grand, de Saint-Jacques de Compostelle, quand la mère fut empèchée par la mort d’accomplir son vœu. On ne pouvait jamais en faire trop, disait-elle, pour honorer la mère de Dieu. Après un grand incendie, elle avait vu elle-mème une maison entièrement consumée, et, à travers la porte, derrière un verre, ]’image de la sainte Vierge, l’image et le verre sans aucun mal, ce qui était un miracle évident. Elle avait fait tous ses voyages à pied ; elle venait de jouer â Munich devant l’électeur, et s’était déjà fait entendre de vingt et un princes. Elle m’amusa fort. De beaux grands yeux bruns, un front obstiné, qui se plissait quelquefois de bas en haut. Quand elle parlait, elle était agréable et naturelle, surtout dans ses éclats de rire enfantins. En revanche, quand elle gardait le silence, elle semblait vouloir se donner un air important, et sa lèvre supérieure prenait une expression désagréable. Nous causâmes beaucoup ; elle se trouvait partout sur son terrain, et observait fort bien les choses. Elle me demanda, par exemple, une fois quel arbre était cela. C’était un bel et grand érable, le premier que j’eusse rencontré dans tout mon voyage. Elle l’avait remarqué d’abord, et, comme il s’en présenta successivement quelques-uns, elle se félicita de pouvoir aussi distinguer cet arbre. Elle allait, disait-elle, à Botzen pour la foire, où sans doute je me rendais aussi. Si elle m’y rencontrait, il me faudrait lui acheter un cadeau de foire. Je le lui promis. A Botzen, elle se proposait aussi de mettre sa coiffe neuve, qu’elle s’était fait faire à Munich avec l’argent qu’elle avait gagné. Elle voulait, dit-elle, me la montrer d’avance. Elle ouvrit la boite, et je dus admirer avec elle la parure richement brodée et enrubannée. Une autre perspective nous réjouit tous deux ; elle m’assura que nous aurions le beau temps. Ils portaient avec eux leur baromètre. Quand le diapason montait, c’était signe de beau temps, et aujourd’hui il avait monté. J’accueillis le présage et nous nous séparâmes de très-bonne humeur, dans l’espérance de nous revoir bientôt.

Sur le Brenner, 8 septembre 1786, au soir.

Je suis enfin arrivé ici, comme malgré moi, à un point de repos, dans un lieu tranquille, tel que j’aurais pu le désirer. La journée a été de celles qu’on se rappelle longtemps avec plaisir. J’ai quitté Mittenwald à six heures. Un vent rigoureux a nettoyé et éclairci le ciel complètement. Le froid était de ceux qu’on ne permet qu’au mois de février. Et maintenant, à la clarté du soleil levant, les premiers plans, sombres, couverts de sapins, les roches grises qui s’y entremêlent, et, derrière, les plus hauts sommets couverts de neige, sur cet azur profond, offraient d’admirables tableaux qui changeaient sans cesse.

Prés de Scharnitz on entre dans le Tyrol. La frontière est fermée par un rempart, qui barre la vallée et s’appuie aux montagnes. Il est d’un bel effet. D’un côté, le rocher est fortifié ; de l’autre, il s’élève à pic. De Séefeld, la route devient toujours plus intéressante : si, jusque-là, elle n’a cessé de monter depuis Benedictbeuern, et si toutes les eaux cherchaient le bassin de l’Isar, maintenant le regard se porte, par-dessus une croupe, dans la vallée de l’Inn, et Inzingen se trouve devant nous. Le soleil était haut et brûlant. J’ai dut alléger mon vêtement, que les variations de l’atmosphère m’obligent de changer à toute heure.

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